Aux Jeux Olympiques, les scandales sur les rings de boxe sont à peu près aussi fréquents que les Jeux Olympiques eux-mêmes. C’est-à-dire qu’il y a en a tout le temps. Ce n’est pas Tony Yoka qui nous contredira. Mais voilà, parfois, plus c’est gros, plus ça passe. Demandez à Roy Jones Jr et Park Si-Hun qui s’affrontaient pour la médaille d’or des super-welters à Séoul en 1988.
Ce 2 octobre 1988, on fête le dernier jour des Jeux dans la capitale Sud-Coréenne. Une édition marquée par les trois médailles de Carl Lewis, les 7 buts en 6 matchs de Romario et le record du monde d’haltérophilie de Naim Süleymanoğlu du haut de ses 1 mètre 47 (comment ça vous n’étiez pas au courant ?). Au programme de l’ultime journée, le marathon évidemment, mais aussi la finale des -71kg qui oppose l’Américain Roy Jones Jr, 19 ans, au Coréen Park Si-Hun. Alors, pour rendre hommage à Pierre de Coubertin, quoi de mieux que de finir sur un bon vieux scandale ?
Un beau bordel pendant deux semaines
Dès le début de la compétition, on sent déjà que ce tournoi a un vrai potentiel. À peine 5 jours après le début des combats, la délégation coréenne se distingue suite à la défaite de l’un de ses athlètes, Byun Jung-Il, en agressant l’arbitre Néo-Zélandais Keith Walker. Tout y passe, jet de chaises et de bouteilles à faire pâlir certains supporters Niçois, bagarre sur le ring et surtout un vrai travail d’équipe auquel tout le monde participe : l’entraîneur, les officiels et même des membres de la sécu. Il faudra attendre Squid Game en 2021 pour revoir autant de violence en Corée du Sud.
Pour autant, la délégation coréenne est tout à fait charmantes lorsque les juges, choisis avec soin, prennent des décisions en faveur du pays hôte, et surtout contre les États-Unis, l’autre petit plaisir des Coréens. Ces derniers entretiennent en effet une forte rancœur contre les Américains depuis les Jeux Olympiques de Los Angeles disputés 4 ans plus tôt, les accusant d’avoir influencé certaines décisions. Miroir Miroir, tout ce que tu fais ça revient vers toi !
La veille du duel entre Jones et Park, l’Américain Michael Carbajal est en finale du combat des mi-mouches contre le Bulgare Ivailo Marinov. Donnée importante, Emil Jetchev, l’officiel en charge des juges est lui aussi Bulgare. Léger biais me direz-vous, mais ça passe. La suite n’est pas compliquée à deviner. Carbajal est battu dans des conditions controversées ; sur ces JO, aucune occasion de faire un gros f*ck à l’Oncle Sam n’est gaspillée. C’est également lors de ce même combat que l’on découvre les juges Alberto Duran et Bob Kasule, qui apparemment n’est pas originaire de Castelnaudary (celle-là, elle est un peu tirée par les cheveux), deux acteurs majeurs du vol qui sera perpétré le lendemain.
Ne vous inquiétez pas, Park Si-Hun n’a pas non plus été oublié par la maison. Pour se hisser en finale, il profite d’un cadeau des juges pour se qualifier aux dépens de l’Italien Vincenzo Nardiello. Furieux devant cette décision incompréhensible, ce dernier doit être évacué du ring. On connaissait la fameuse nouille Chinoise, place désormais à la douille Coréenne.
Le meilleur pour la fin
Après avoir vu tout le talent des Coréens quand il s’agit de bien choisir les juges, Roy Jones n’a pas d’autres choix que de se préparer mentalement, bien qu’il n’ait pas perdu le moindre round jusque-là.
« Je sais à quel point il est difficile de prendre une décision contre un Coréen ici, mais ça n’a pas d’importance. S’ils me volent, pas de soucis. Je sais que j’aurai quand même gagné. «
Place désormais au combat. Ou plutôt à la boucherie. Pendant les trois rounds, Roy Jones Jr martyrise un Park Si-Hun aussi mobile que Per Mertesacker dans ses grandes heures. Gauche, droite, tout y passe. Selon un décompte non officiel de la chaîne NBC, l’Américain a porté 86 coups contre 32 pour son adversaire. C’est simple, démarrez la vidéo à n’importe quelle minute et vous devriez voir un Jones en train de rouer Park de coups.
Dans ces conditions, difficile d’imaginer une autre issue qu’une victoire de Jones. Mais Michel Audiard disait bien que « Les Coréens, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait ». Enfin à quelque chose près. Au moment de la délibération, l’arbitre italien Aldo Leoni lève, à contrecœur, le bras encore tremblant de Park Si-Hun sous les acclamations de la foule. Sur les 5 juges, trois ont estimé inventé la victoire du Coréen : le Marocain Hiouad Larbi, l’Uruguayen Alberto Duran et l’Ougandais Bob Kasule. Heureusement, l’ami Larbi a une justification absolument extraordinaire pour expliquer sa décision.
“L’Américain a gagné facilement. Tellement facilement que j’étais persuadé que mes quatre compères juges allaient entériner le score en faveur de l’Américain avec un gros écart. Par conséquent, j’ai voté pour le Coréen pour que le score soit de 4 à 1 dans le but de ne pas embarrasser le pays hôte.”
Pour bien enfoncer le clou, Roy Jones reçoit le Trophée Val Barker qui récompense tous les 4 ans le meilleur boxeur aux Jeux olympiques. Il devient ainsi le troisième de l’histoire à remporter cette distinction sans avoir la médaille d’or.
Une enquête, des condamnations mais pas d’or pour Roy Jones
Devant la suspicion d’un des membres du CIO, une enquête est ouverte. Grâce à la Stasi (si on imaginait, un jour, écrire ça à la FFL) et à l’ouverture de ses archives suite à la chute du Mur, on apprend qu’un milliardaire Sud-Coréen avait payé plusieurs dirigeants de la Fédération Internationale pour faire gagner ses compatriotes. Karl-Heinz Wehr, ancien secrétaire général de l’AIBA (Association Internationale de Boxe Amateur) explique qu’à Séoul, il a régulièrement vu « des juges préparés à déclarer un Sud-Coréen vainqueur, même si c’était complètement ridicule ». Selon lui, plusieurs officiels auraient aussi reçu entre 300 (dont les juges Larbi et Kasule) et 15 000 dollars de pots-de-vin, afin d’influencer des combats, confirmé par l’arbitre lui-même. Comme quoi, pour trois maillots floqués « Messi », vous pouvez vous payer un combat de boxe aux JO.
Mais malgré la suspension d’une quinzaine de juges, l’AIBA refuse de changer le verdict du combat, prétextant que les Américains et son entraîneur Kevin Adams auraient dû porter réclamation dans les 30 minutes après la finale (on se marre aussi en l’écrivant, ne vous en faites pas). Ils obtiennent la même réponse de la part du CIO en 1997, qui estime que les preuves sont « insuffisantes » pour établir l’existence d’une corruption. Quelques années après, l’entraîneur américain, sous le coup de la frustration, décidera malheureusement de commencer une carrière de comédien sur une émission de France 2.
Finalement, dans cette sombre histoire, tous les acteurs ont reçu de l’argent. Roy Jones Jr. aussi, à son plus grand dam.